À ce jour, la schizophrénie a déjà fait l’objet de nombreuses études, de développements de pratiques et de publications, y compris en psychomotricité (DefiollesPeltier, 2000). Pour autant, une bonne part des mécanismes psychologiques et organiques qui la régissent demeurent encore peu connus et compris. La phénoménologie psychiatrique peut apporter une autre approche de la maladie mentale. Elle nous invite à envisager la maladie mentale selon l’observation des phénomènes qui caractérisent la maladie, à se poser surtout la question du comment du trouble en sus du pourquoi. Si ce courant philosophique a déjà considérablement inspiré la psychomotricité, notamment par les travaux de Merleau-Ponty (1945), il peut encore trouver son intérêt dans l’optique d’une compréhension des pratiques psychomotrices. C’est ce que nous allons essayer de montrer au travers de la présentation et l’analyse du cas de M. G. Mais avant cela, il nous faut revenir sur certaines notions de phénoménologie.
L’ÉCLAIRAGE PHÉNOMÉNOLOGIQUE
On retrouve dans beaucoup d’écrits traitant de la constitution et du maintien du psychisme en lien avec l’expérience corporelle, des références au Moi-peau. Les concepts d’Anzieu (1995) quant à la constitution des enveloppes psychiques s’appliquent facilement au tableau de la schizophrénie. Il n’en demeure pas moins qu’au sein de ce concept théorique les notions de mouvement sont partiellement ou totalement oubliées (Corraze, 1998). Or le travail psychomoteur permet un retour vers une meilleure unité psychocorporelle et la réduction de la symptomatique psychomotrice. Mais pour cela, il ne s’est pas cantonné à la seule expérience haptique de l’enveloppe du corps, mais bel et bien à une sensibilité somato-viscérale (Pireyre, 2008) et la mise en exergue d’une sensorialité kinesthésique ou sens du mouvement (Berthoz, 1997). Donc loin de vouloir emboîter le pas à Corraze, on considèrera simplement ici que le Moi-peau ne suffit pas à éclairer pleinement le contenu et les processus à l’œuvre dans notre clinique psychomotrice, ce que semble en revanche parvenir à faire la phénoménologie psychiatrique.
Succinctement, la phénoménologie est un courant philosophique pouvant être défini comme une science de l’expérience et des vécus soutenant l’émergence d’une conscience de soi et du monde (Charbonneau, 1993). Elle fut conceptualisée par Husserl puis Heidegger au début du XXème siècle et a amené de nombreux éclairages en psychiatrie, notamment par le biais de la Daseinsanalyse (Biswanger, 1958) ou de la pathoanalyse, «terme par lequel Schotte, à la suite de Freud, désigne une perspective d’anthropologie clinique qui consiste à considérer que les pathologies mentales sont l’expression des différentes possibilités cachées dans le psychisme dit normal» (Robinson, 2005). Elle se définit comme l’étude des phénomènes et propose donc un abord essentiellement ontologique de l’homme où l’être est envisagé d’abord par rapport à lui-même, c’est-à-dire indépendamment de ses déterminations particulières. C’est notamment par le biais de l’œuvre de Merleau-Ponty (1945) qui montra l’importance de l’expérience corporelle dans la constitution de soi et du monde, que la phénoménologie prend une place essentielle dans les sciences du corps. Cela étant dit, pourquoi recourir à ces concepts ?
Tout d’abord, l’approche phénoménologique de la schizophrénie, et plus généralement de la psychose, a été particulièrement développée par de nombreux auteurs comme Binswanger, Minkowski, Szondi, Schotte ou bien encore Zutt. Ensuite, la phénoménologie a pour idée directrice la primauté du corps dans la conscience de Soi et donc dans le rapport de Soi au Monde. C’est à ce titre qu’elle propose une compréhension du corps qui dépasse la simple dualité sujet-objet et prend donc en considération le corps propre ainsi que son expression qu’est la corporéité, au sein de laquelle on retrouve les dualités corps-en-apparition et corps-porteur de Zutt(1963) ainsi que le Sentir et le Se mouvoir de Straus (2000).
Le corps propre peut se définir comme un ensemble sensible qui s’unifie en même temps qu’il se construit dans l’espace et nous ouvre la perception. A la fois matière et sensations, il détermine notre capacité à être présent conjointement à nous même et au monde. Or le corps propre se constitue non seulement par le sens haptique, mais également par les sensations cénesthésique et kinesthésique (Berthoz et Petit, 2008), ce qui semble nous confirmer ce que nous évoquions précédemment, à savoir l’importance du mouvement dans la mobilisation du corps propre chez le sujet schizophrène. Le corps-en-apparition est quant à lui cette «présence et possibilité de présence de Moi à Autrui et indissolublement d’Autrui à Moi» (Tatossian, 2002, p.69), traduite dans l’attitude corporelle et indispensable à la personne pour se situer dans une relation. Le corps porteur quant à lui se définit plus par rapport au sentiment que l’on a de soi intimement lié au vécu corporel comme la faim, la soif ou la fatigue. Le patient schizophrène sera donc plus en difficulté avec le corps en apparition : c’est cette «incapacité d’apparition schizophrénique [qui] suscite l’impression du peu naturel, du bizarre, du maniéré, du théâtral» (Tatossian, 2002, p.71) que l’on retrouve fréquemment dans ce type de pathologie.
Le «Sentir» ensuite, est défini par Straus comme un acte, et non une sensation, situé en deçà de la perception mais qui soutient cette dernière, où l’on passe de l’être au monde à l’être-avec-le-monde. Autrement dit, le Sentir constitue l’expérience primordiale de présence où le sujet prend conjointement conscience de lui-même et du monde qui l’entoure dans ce qui est le prélude de la communication entre soi et le monde. Or, selon Minkowski (1953), le patient schizophrène se voit le plus souvent dans une incapacité du Sentir. Au Se Sentir, Straus associe le Se Mouvoir. Indissociable du premier, il caractérise la capacité du sujet à construire et réaliser des mouvements par lui-même et pour lui-même, autrement dit à disposer de son appareil locomoteur comme constitutif du Soi, média essentiel de la prise de conscience de Soi et du Monde, et enfin support incontournable de l’interrelation réciproque de soi au monde. Ce couple Se Sentir-Se Mouvoir est donc à entendre comme l’expression des expériences sensori-motrices, expériences dont on connaît toute l’importance dans le domaine de la psychomotricité en général.
Enfin la phénoménologie développe l’idée de l’appartenance à Soi-même, ce que Ricœur nomme ipséité (1983). Par ce terme, il faut comprendre la capacité de l’individu à rester lui-même, à rester Soi, malgré les variations de ses comportements et/ou rapport avec le monde. Autrement dit, l’ipséité exprime l’unité comme l’unicité de Soi au fil du temps. Ainsi, la «perte ou altération de la faculté sensible d’avoir et d’être un corps qui se traduit par la perte du sentiment d’identité, l’altération du moi psychique, allant du doute, du vécu étrange à la perte totale d’identité» (André, Bénavides et Giromini, 2004, p.44) est à comprendre comme une expression de l’altération de l’ipséité en phénoménologie, c’est-à-dire que le sujet ne s’appartient plus complètement à lui-même.
En résumé, le patient schizophrène aura essentiellement une conscience de Soi noétique désincarnée (Stanghellini, 2004), c’est-à-dire qu’il aura plutôt une conscience de lui-même par la pensée plus que par le corps. Son corps-en-apparition est pour ainsi dire effacé de sa présence physique. Son existence sera réduite à son seul être-au-monde, ou Dasein, caractérisé par cette rupture entre l’espace et le temps (Defiolles-Peltier, 2000) où l’espace semble illimité et le temps complètement effacé. Et c’est en partie cette non accession de l’être-au-monde à la temporalité qui signe l’altération de l’ipséité dont la dépersonnalisation et les angoisses de morcellement sont l’expression. Aussi allons nous nous efforcer à présent de repérer au cours du travail psychomoteur de M. G., les signes d’un Sentir, prélude à la conscience de Soi et du monde, les manifestations du corps-en-apparition et les indices d’un retour à l’ipséité.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE M. G.
M.G. est un jeune homme d’une trentaine d’année, physiquement imposant mais à l’allure plutôt nonchalante de prime abord, impression très vite dépassée par l’agitation psychomotrice constante qui le caractérise. Son contact est particulièrement déroutant dans la mesure où il parle de lui à la troisième personne, semblant plus s’adresser à lui-même lorsqu’il interpelle autrui, et montre beaucoup de maniérisme dans son attitude corporelle. Il est le troisième enfant de ses parents, le frère cadet étant mort né et
M.G. ayant dans son propre prénom des consonances proches de celui de ce frère. Il est suivi de façon discontinue depuis ses 17 ans et la décompensation schizophrénique qui lui correspond. Il est suivi régulièrement depuis 5 ans dans le service de psychiatrie et a progressivement intégré l’hôpital de jour depuis 2 ans quand commence le suivi en psychomotricité. A ce moment-là de sa vie, il présente une dissociation massive avec un langage incohérent, une dépersonnalisation importante qui confine à la déréalisation, de forts vécus de morcellement sur fond de délire permanent, tableau au sein duquel n’émergent pas spécifiquement d’éléments catatoniques, paranoïdes ou hébéphréniques. Cette proposition de soin psychomoteur se trouve commencer en même temps que la mise en place d’un atelier d’expression graphique libre où chaque patient est libre d’aller et venir à sa guise, de s’installer pour produire quand il en a envie. Nous allons alors rapidement comprendre que cette coïncidence va s’avérer être une chance pour lui.
Le bilan psychomoteur recourra notamment à la figure complexe de Rey (Rey, 1959), aux tests du CORP (Meljac, Bergès et Stamback, 1966) pour le corps de face, et au D2 (Brickenkamp, 1998). Les épreuves d’imitation de gestes de Bergès ne sont pas envisageables, chaque abduction se traduisant par un renforcement de l’état tonique et de l’agitation, traduisant probablement une angoisse corporelle de morcellement particulièrement importante. La figure de Rey donne des scores de 33 pour la copie avec modèle, ce qui situe M. G. dans la moyenne, de même que le temps de copie. Le score passe à seulement 19 pour la reproduction de mémoire, le situant plutôt dans la moyenne inférieure. Mais surtout, la méthode dans les deux cas est de type IV, c’est-à-dire en juxtaposition de détail, le déroulement de la copie de mémoire suivant de très près celle effectuée avec le modèle. Le test CORP, permettant l’ «étude des aspects cognitifs du schéma corporel» (Meljac et col., 1966, p.7), est proposé à M. G., bien qu’elle soit non cotée pour les adultes. Il donnera un niveau de construction particulièrement déficitaire pour les épreuves concernant le corps de face. On voit ci-après la construction :
Les notes partielles en évocation, construction et reproduction avec modèle sont respectivement de 0/9, 1/9 et 9/9 pour une note totale de 10/27. Il est d’ailleurs à noter qu’au cours de l’examen, il sera absolument impossible d’obtenir une quelconque représentation du corps, tout du moins une représentation reconnaissable par un tiers. Le D2 ensuite montre des capacités très déficitaire en termes d’attention comme de concentration, plaçant M. G. dans le cadre des gros problèmes de concentration en situant tous les scores dans le décile inférieur. Il exprimera d’ailleurs clairement sa difficulté à cette épreuve en répétant à plusieurs reprise «c’est dur, c’est dur !», mais il se montrera particulièrement sensible aux encouragements et finira l’épreuve avec une certaine satisfaction. Enfin, nous notons que toute activité demandant un effort de planification comme l’écriture ou plus simplement le mime, est extrêmement difficile à mettre en œuvre : il s’éparpille très rapidement, ne peut cibler l’objectif global de la tâche et tend à ne s’attacher qu’aux détails. Il est à souligner que ce constat est en accord avec le mode de reproduction de la Figure de Rey et souligne la présentation très éclatée.
Cette évaluation mettra donc principalement en avant un trouble majeur du schéma corporel ainsi que des difficultés globales d’attention/concentration, de planification des tâches motrices complexes et des troubles du tonus, un profil recoupant donc par de nombreux points celui décrit par Christodoulou (2006). Pendant ce bilan, il est soit figé, soit pris dans une agitation psychomotrice qu’il a du mal à contenir. Ainsi le corps est-il totalement absent du discours comme du vécu. Le corps ne peut faire l’objet d’une quelconque représentation, que ce soit par construction ou par le graphisme. M. G. parle parfois de lui-même à la troisième personne, il ne semble pas avoir de corps et agit parfois lors des séances d’évaluation sur un mode d’automatisme mental.
Le projet de soin va ainsi être basé sur une remobilisation du corps propre avec l’objectif de traiter des troubles psychomoteurs repérés. Nous faisons l’hypothèse que le schéma corporel sera abordé directement au travers de cette mobilisation, mais également que les troubles de l’attention étant difficilement traitables du fait de son état clinque, ils devraient être mobilisés indirectement lors des exercices moteurs où il sera particulièrement invité à se concentrer sur ses ressentis. Nous pensons par ailleurs que le soin psychomoteur permettra pour partie à M. G de réintégrer une capacité à entrer en relation avec l’autre et à reprendre contact avec la réalité dans la continuité, cela en s’appuyant sur l’idée que le corps constitue «le pivot» (Christodoulou, 2006, p.8) qui permettra cette évolution.
L’espace de graphisme s’ouvre, pour sa part, quasiment simultanément au début de la prise en charge psychomotrice. Il répond pour beaucoup aux caractéristiques des ateliers tels que les a décrit Denner (1980).
Il est sollicité durant la première semaine afin de lui rappeler l’existence de l’atelier. Par la suite, il ne le sera plus et se rendra à la salle de lui-même chaque jour de présence à l’hôpital de jour, ceci plusieurs fois par jour. Durant cette période, on a pu observer une progression constante dans l’évolution des dessins mais de façon non linéaire, avec des retours en arrière et des changements de styles brutaux. Il n’a jamais été guidé ni influencé volontairement dans ses productions, il n’a de plus jamais sollicité notre intervention. La salle d’expression libre étant ouverte à tous les patients, il se retrouve donc aussi bien seul qu’en groupe lors de ses créations et ceci ne semble pas influencer son comportement, il n’est pas pour autant fermé aux autres, il écoute ce qui se dit, rigole et interagit de façon adaptée.
PREMIER TEMPS DU SOIN
Dans cette prise en charge, plusieurs phases vont donc se succéder : les premières séances de psychomotricité font surtout l’objet d’une coadaptation avec M. G. afin de trouver la meilleure façon d’aborder le travail. Il a parfois du mal à rentrer dans la salle, il s’agite et regarde fixement devant lui avant de s’asseoir très mécaniquement sur sa chaise. Très rapidement, il montre tout son intérêt pour des temps de massage avec un gros ballon gymnique. Ces massages se font principalement selon trois modalités : passages légers, passages en rebonds, et passages appuyés. M. G manifeste très clairement sa préférence pour les temps plus appuyés, demandant toujours plus de pression. Il refusera les autres modalités. Les appuis se font finalement à l’extrême, le ballon complètement écrasé entre les deux protagonistes. Il demandera donc ensuite exclusivement ce temps là sous l’expression: «aplatit le!!!» qu’il répétait à plusieurs reprises. Ces temps sont relativement courts, 10 à 15 minutes au maximum. Mais ils semblent importants pour lui, au point qu’il finit par intégrer la fréquence des séances et de finalement venir de lui-même à nos rendez-vous.
A l’atelier, il dessine de façon compulsive, il enchaine les créations les une après les autres. Ses créations semblent être dessinées par automatisme, très rapidement, de façon impulsive. Les dessins semblent anarchiques et non contrôlés, il utilise aussi bien la main gauche que la droite. Cependant en y regardant de plus près, les dessins non figuratifs semblant être des traits colorés dans tous les sens type gribouillons, sont en fait composés de couches successives de différentes couleurs. Chaque couche représente en fait un graphe que M. G reproduit sur l’ensemble de la feuille de façon homogène et équilibré. Il décrit ses productions: «Je sais pas c’est dans ma tête, ça va vite».
DEUXIÈME TEMPS
Devant l’effet positif du travail engagé depuis un mois et demi, l’équipe propose de doubler les séances de psychomotricité, passant ainsi à deux rendez-vous par semaines. M. G mettra un moment avant d’intégrer ce nouveau dispositif. À une ou deux reprises, il signifiera «c’est dur» ou «ça fait trop», non sans honorer ses rendez vous, entrant en séance toujours selon le même mode. Les séances se font un peu plus longues. «Aplatis le» est toujours sa demande, mais l’emploi de ballons de moins en moins gros permet de dessiner désormais des zones précises qui sont nommées en même temps qu’elles sont touchées. Au bout de quelques séances, il se mit à me parler d’abord de façon dissociée puis un peu plus structurée. Les premières phrases cohérentes furent de nature affective. «Tu sais je l’aime beaucoup ma maman» fut la première d’entre elle. D’autres éléments affectifs surgissent en même temps que l’on commence à constater une baisse relative du tonus pendant le temps de massage. Parfois, M. G se tait, ferme ses yeux et semble apaisé. Il lui arrive de me remercier en fin de séance.
Proposition lui est progressivement faite d’introduire quelques mouvements activo-passifs inspirés de la méthode Wintrebert (2003). Pour M. G, l’accent est particulièrement mis sur la reproduction du geste perçu par le sens kinesthésique et non sur la recherche de la détente. La progression se fait du distal au proximal, partant des doigts et du poignet pour arriver vers l’épaule. Pendant ces courtes expériences, il est encore très tendu et particulièrement vigilant, regardant avec attention ce que je lui propose. C’est au cours de l’un de ces moments qu’il dira subitement : «j’ai pas de colonne vertébrale !!!!». En réponse, nous nous consacrerons donc à une mobilisation activo-passive de son axe corporel par des mouvements au sol, les mouvements distaux n’intervenant éventuellement que dans un second temps. On note également que, peu à peu, les impressions diffuses font place à des sensations plus localisables : «l’épaule ça tire» ou bien : «c’est dur là» en miroir des précisions que permet l’emploi de ballons plus petits.
Au niveau du graphisme, les créations ont été composées du jour au lendemain de formes pleines, fermées et remplies de différentes couleurs. Ces formes ne semblent rien représenter à nos yeux et sont composées dans un premiers temps de lignes courbes. Puis ces formes deviennent de plus en plus complexes et variées. Au milieu de ces formes apparait de temps en temps une maison plus ou moins bien structurée mais complète (toit, mur, cheminée et fenêtres). Le dessin est beaucoup plus structuré, le remplissage des formes appliqué et chaque dessin nécessite beaucoup plus de temps, et certains ont donc été élaborés en plusieurs fois. Il peut maintenant revenir sur un dessin non terminé, démarré la semaine d’avant, et observer ainsi une continuité dans ses créations
Durant cette période, il bénéficie d’un carton à dessin afin de lui permettre de pouvoir les conserver, les protéger, les ordonner. A partir de cette période, il commence à refuser de participer à certaines médiations lorsque nous le sollicitons alors qu’il est en train de dessiner : il émet des choix, et peut s’énerver si l’équipe insiste. Nous remarquons que certains jours, M. G ne pénètre pas dans la salle d’expression libre. Par ailleurs, il se rappelle ses productions et il est en mesure de dire « celle-ci, je la comprends, celle la je ne la comprends pas». A ce moment de travail, il a réalisé près de 150 dessins.
TROISIÈME TEMPS
Au bout de trois mois, les séances se font de plus en plus longues. Les temps de massage plus appuyés sont toujours aussi primordiaux, mais il accepte aussi les temps plus doux par les passages simples ou les rebonds. Les séances les plus longues approchent des 25 minutes. M. G. accepte une mobilisation plus segmentaire. On note à ce sujet que le relâchement musculaire à la mobilisation passive est plus difficile à obtenir au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’axe. Sur le plan actif, les gestes gagnent en souplesse et en régularité. Pendant ces temps de mobilisation, M. G parle de diverses choses mais le plus souvent de façon incohérente. Nous noterons cependant à plusieurs reprises qu’émerge un discours plus affectivé où il évoque plutôt des impressions générales entre un ressenti désagréable non localisable, de la fatigue et autres sensations floues de lui-même, non déterminées, difficilement explicitables par le mot : «Je sais pas, c’est bizarre», mais qui semblent bien l’inquiéter sans toutefois le déborder. Il demande tout de même à poursuivre ces moments là. Ainsi constate-t-on, au fur et à mesure que son niveau de tonus s’abaisse, qu’il continue de discourir, toujours de façon un peu confuse, mais de plus en plus avec des évocations de natures sensorielles et affectives où pointent continuellement cette étrangeté. Et fait nouveau, il commence aussi à évoquer son passé, les jeux quand il était petit, le plaisir qu’il éprouvait, ses activité professionnelles ou semi professionnelles, mais également les larcins qu’il a pu commettre et qui l’on conduit en prison durant quelques mois.
A ce propos, il montrera le tatouage qu’il en a gardé, en se demandant s’il pourra l’enlever un jour… Et il évoque de nouveau sa mère, l’air inquiet, en prédisant qu’il mourra avant elle. Par ailleurs, il peut désormais en début de séance évoquer la précédente et son contenu. Croyant comprendre que pour lui le temps pouvait de nouveau se déplier sans se déchirer, je lui propose donc de prévoir le contenu des séances suivantes, chose qu’il acceptera et qu’il appliquera très bien lors des rendez-vous suivants
Plus globalement, M. G. se montre plus expressif corporellement lors des petits échanges qui ponctuent les débuts et fins de séance et l’agitation psychomotrice est nettement plus contenue. Dans ses créations apparaissent de plus en plus régulièrement des formes figuratives, maisons, véhicules, et on note l’apparition de visages, composés de formes simples représentant les yeux, le nez et la bouche. Puis par la suite, ces visages se trouvent complétés d’une ébauche de schéma corporel. Lorsqu’on lui demande si ce sont des bonhommes, il confirme : «oui, ce sont des bonhommes».
C’est durant cette période que, de lui-même, il va sélectionner certains dessins et les emmener à son domicile.
QUATRIÈME TEMPS
Le travail psychomoteur a débuté depuis un peu plus de quatre mois maintenant. M. G. continue de venir régulièrement, non sans certains oublis ou refus parfois. Le temps de massage selon les trois modalités est maintenu. Les demandes sont moins impérieuses et le «Vas-y appuie !» a pris la place du
«Aplatis le !». Il peut maintenant verbaliser un mieux être directement à la suite de ces moments là. Le travail de mobilisation s’oriente progressivement vers de la relaxation plus précis et plus long, au point de prendre petit à petit le temps qui était auparavant imparti au passage des ballons. Les mobilisations passives se font plus facilement, bien que la détente ne puisse encore être véritablement obtenue. Il continue d’observer les mouvements, mais de façon plus calme désormais. Il commence à évoquer plus particulièrement des ressentis entre la tristesse, l’énervement et la joie. Cette évocation se fait dans une harmonie tonico-émotionnelle où la posture et les expressions du visage retrouvent une expressivité plus distincte et plus compréhensible par autrui, correspondant de plus en plus aux postures émotionnelles classiques (Sage, 2008). Son mode d’entrée en séance a changé : il frappe à la porte, demande s’il peut rentrer, puis il échange quelques banalités avant d’expliquer ce qu’il aimerait faire dans la séance.
Il démarre par ailleurs, et très subitement, une nouvelle semaine sur un tout autre style de graphisme. Il choisit un format A4 et trace des lignes, des formes très structurées, géométriques à l’aide d’une règle, il est très calme et posé. Il dessine à l’aide d’un crayon à papier et rajoute des lignes avec un crayon de couleur.
CINQUIÈME TEMPS
Un entretien familial où était présente sa mère va particulièrement marquer le déroulement du travail. Lors de cet entretien est évoquée la possibilité d’un appartement pour M. G, dans la proximité du domicile de sa mère. S’il s’est montré sur le moment très enthousiaste à cette idée, il redevient très angoissé avec la résurgence des thèmes sur sa propre mort imminente et son envie de mourir. En parallèle il redevient très éclaté dans le service. Cette variation d’état se traduit aussitôt dans ses productions avec un retour en arrière immédiat. Il s’isole et ferme la porte de la salle d’expression libre derrière lui. Ses productions redeviennent éclatées, impulsives. Il fait évoluer ses productions dans le même ordre que décrit précédemment, mais cela en deux semaines contre trois mois auparavant. Le travail psychomoteur montre également un retour aux expériences des premières séances avec de fortes pressions sur l’ensemble du corps. De la même façon, une évolution en tous points similaires aux quatre premiers temps du soin s’opère en l’espace de ces deux semaines.
SIXIÈME TEMPS
Au bout de deux semaines donc, M. G. semble aller mieux et nous notons qu’il ne s’isole plus dans l’atelier. Les productions graphiques reprennent leur évolution et l’on voit désormais de nouvelles formes apparaitre, formes où se mélangent plusieurs éléments que l’on retrouvait dissociés dans les temps précédents :
Les séances de psychomotricité ont toujours lieu deux fois par semaines, et sont désormais essentiellement consacrées plus spécifiquement à de la relaxation selon la méthode Wintrebert. Mais il peut encore arriver que M.G. demande le massage. Il est d’ailleurs à noter que cette demande intervient soit en début de séance quand M. G est perturbé, énervé ou stressé, soit en fin de séance, comme pour revenir à une sensation de globalité plus intense. Durant ses séances, il s’apaise considérablement, sa respiration s’installe dans une régularité avec l’apparition de légères apnées en fin d’expiration, le mouvement se situant quant à lui plus au niveau abdominal. Il verbalise maintenant assez peu et presque toujours de façon sibylline, par un : «c’est bien» ou «ça va», «ça fait du bien», mais se montre particulièrement expressif corporellement au cours des séances.
Il est par ailleurs beaucoup plus présent au sein du service, il accepte de participer à un peu plus d’activités et commence à tisser des liens plus authentiques et plus identifiés avec d’autres patients. Son visage est reposé et plutôt souriant. Le travail a donc débuté depuis six mois au moment de repasser les épreuves du CORP et du D2 qui avait été particulièrement échoués, afin de mesurer plus objectivement l’amélioration des symptômes psychomoteurs de M. G et de valider la démarche thérapeutique engagée jusque là.
Les résultats respectifs pour l’évocation, la construction et la reproduction avec modèle sont de 4/9, 4/9 et 9/9 pour une note globale de 17/27. On voit ci-après la construction :
ANALYSE DE LA CLINIQUE
Dans les deux premiers temps, le travail s’est donc essentiellement porté sur une mobilisation progressive du corps propre car celui-ci apparait comme désuni, éclaté à l’image de la construction qu’il en fait lors du test CORP. L’expérience de pression permet donc de redonner au corps sa consistance en mobilisant avec force la proprioception et les sensations profondes. Il a visiblement besoin de sentir physiologiquement son corps avant d’en avoir une sensation plus unifiée, avant de pouvoir l’écouter dans le mouvement sans qu’il ne se morcelle. Petit à petit, on voit réapparaitre dans son discours une organisation spatiale du corps en même temps que les angoisses de morcellement se font moins intenses. Le corps propre semble donc se reconstituer, se restructurer de façon plus cohérente et plus unifiée, en même temps que nous travaillons sur la reconstruction d’une spatialité du corps.
Les troisième et quatrième temps apparaissent donc comme un moment charnière dans l’évolution globale. Or, ils correspondent notamment au moment où le travail des mouvements a été introduit. Ainsi l’évocation teintée d’anxiété lors des mobilisations n’est-elle pas sans évoquer le concept freudien d’inquiétante étrangeté. C’est-à-dire qu’à ces moments où son corps est mobilisé, il semble ressentir cette impression diffuse : «[…] où l’on doute qu’un être en apparence animé ne soit vivant, et, inversement, qu’un objet sans vie ne soit en quelque sorte animé» (Jentsch, cité par Freud, 1971, p.175), l’existence de M.G. lui apparaissant à lui-même à la fois comme être et comme chose. Mais peut-on alors comprendre que ce moment est une expérience du Sentir au sens de Straus ? Peut être, car si «[…] le sujet du sentir, le sentant, n’est pas un sujet isolé et solitaire qui, à partir de sa propre conscience de soi, projette et saisit un monde comme transcendant» (Straus, 2000, p.373), ce sentant « n’a pas des sensations, mais en sentant, c’est lui-même qu’il atteint d’abord» (Ibid.). Ce faisant, en considérant qu’il y a un ordre hiérarchique entre le doute de Soi et la perte de l’identité comme le suggèrent André et col. (2004), alors ce vécu d’inquiétante étrangeté généré par les sensations corporelles est donc peut-être à envisager comme une expérience du Sentir. Cette dernière doit être comprise comme une étape essentielle dans cette évolution thérapeutique partant de la perte de Soi pour parvenir au simple doute de Soi qui sera moins angoissant et moins déstructurant. Ainsi peut-on supposer que l’on observe bien un retour à la conscience de Soi chez M. G., retour qui se fait d’abord au travers de ces expériences du corps propre que lui procurent les temps de psychomotricité. On comprend alors qu’une des fonctions du soin psychomoteur proposé est bien de permettre la restauration de l’unité Se Sentir-Se Mouvoir par la double attention portée à l’acuité proprioceptive et la production de mouvements répétitifs qui contribuent à l’incarnation des capacités motrices, fonction qui préside à l’émergence d’une conscience de soi.
Par ailleurs, nous notons que l’attitude de M. G. évolue sensiblement entre les deuxième et quatrième temps. Il s’engage de plus en plus dans le lien à l’autre et se montre à l’autre d’une façon fort différente de précédemment : il salue les gens, leur sert volontiers la main en les regardant ; il sourit en passant sa tête par l’entrebâillement de la porte pour demander si c’est bien l’heure de son rendez-vous ; il peut formuler des demandes adaptées et adopte une présentation corporelle à la fois plus apaisée et plus authentique quant à l’expression de ses vécus. Ce mode d’entrée en relation qui évolue sensiblement évoque très clairement le retour progressif de sa capacité à apparaître à l’autre en étant lui-même. Aussi peut-on raisonnablement voir là une expression asymptomatique du corps en apparition qui permet cette présence conjointe à soi et à l’autre, signant donc une amélioration clinique notable.
Dans cette perspective, la réminiscence de l’existence d’un tatouage et l’évocation de sa propre mort qui s’en suit après quelques séances de mobilisation activo-passive est alors à entendre comme un temps particulièrement important dans ce soin. D’une part, la réapparition de cette trace sur le corps, tout comme l’évocation de sa mort, signe-t-elle probablement là un retour à la temporalité. D’autre part, Heidegger mentionne bien que cette conscience de la mort, qu’il nomme être-à-la-mort, est le signe essentiel d’une appartenance de Soi à soi. On peut envisager que cette forme d’évocation «n’est pas une réédition du passé, ni un lien imposé au présent pour le rattacher à quelque chose de révolu ; elle est plutôt une réplique, qui, parce qu’elle est le retour, non pas du dépassé, mais du possible ayant été, est tourné vers l’avenir et ouvre ainsi le Dasein à sa propre histoire.» (Musambi Malongi, 1996, p.120). Aussi faut-il ici comprendre que M.G. va se soucier du devenir de son tatouage, et par extension de son propre devenir au travers de la mort. Or le souci, tel que l’entend Heidegger, c’est bien la marque de l’intégration de l’être-au-monde dans une temporalité. Et cette intégration se fait pour M. G. par le biais de son vécu corporel. Car le temps perçu est par essence une perception du corps présent, à sa spatialité et au monde qui l’entoure, « et cette perception nous paraît, à tort ou à raison être à la fois en nous et hors de nous: par un coté, c’est un état de conscience ; par un autre, c’est une pellicule superficielle de matière où coïncideraient le sentant et le senti. A chaque moment de notre vie intérieure correspond ainsi un moment de notre corps, et de toute la matière environnante» (Bergson, 1968, p.42). Cette réapparition de la temporalité dans le discours est donc primordiale car elle nous renseigne sur le retour d’une meilleure appartenance à lui même, c’est-à-dire à son ipséité, elle-même inhérente à un meilleur ressenti du corps.
Les deux derniers temps sonnent finalement chacun comme une confirmation des quatre premiers. Sur le cinquième, la répétition du processus suite à l’évocation d’une séparation d’avec sa mère montre combien les étapes observées correspondent effectivement plus à une évolution cohérente qu’à une juxtaposition de phénomènes isolés. Le sixième témoigne quant à la lui de la recomposition qui a eu lieu entre les divers temps qui le précèdent, recomposition dont on retrouve l’expression dans les dessins. Il montre surtout qu’il s’installe progressivement dans un rapport à la fois à son corps propre, et au monde qui l’entoure. Les expressions verbales qui jalonnent alors les temps de psychomotricité sont plus à entendre comme l’expression d’un sentir devenu pathique qui caractérise: «[…] cette dimension intérieure du sentir, selon laquelle nous communiquons avec les données hylétiques [c’est-à-dire à la matière qui nous entoure], avant toute référence à un objet perçu» (Maldiney, 1973, p.136). Cela peut confirmer pour partie le fait que M. G. devient progressivement ouvert au monde qui l’entoure au fur et à mesure qu’il est plus présent à lui-même.
QUE COMPRENDRE DES DESSINS ?
Au regard de ces hypothèses, l’association avec l’apparition de visages et bribes de corps ou de représentant symbolique du corps, comme la maison, sont donc peut être à comprendre selon deux axes. D’une part, on peut voir dans ces représentations un mouvement de projection de son image du corps qui peut alors à ce moment lui apparaître à lui-même comme une entité plus structurée et plus identifiable, donc moins angoissante, qu’il va pouvoir ré-introjecter. Mais d’autre part, on peut également envisager qu’il s’agit là d’une production de nature plus onirique, au sens où le corps est plus rêvé au travers du dessin que représenté dans sa réalité. La rêverie, ou tout du moins l’ébauche de rêverie dont il est question, est alors à entendre dans un double sens : d’un coté elle renvoie à la notion de symbolisation (Tisseron, 1995), ce qui corrobore pour partie le premier axe précité ; de l’autre coté, il évoque cette tentative toujours renouvelée et ré expérimentée chez M. G de retour progressif à un vécu plus globalisé où sens, mémoire et émotions se rejoignent au sein d’une activité onirique dont le graphisme serait l’objet, le dessin spontané offrant cette possibilité «de se créer soi-même en un tout convenablement équilibré, fait de sentiments et de désirs, intégrés dans les limites du corps.» (Milner, 1976, p.163). De cette façon on comprend que M. G, au travers du dessin, tente peut-être de se réapproprier ce qu’il perçoit de son corps, et plus globalement de lui-même, un peu à l’instar de l’enfant qui se découvre dans le regard de sa mère ou dans le miroir, à cette différence fondamentale que cette reconnaissance de Soi n’est encore que parcellaire et fragmentée consécutivement à la psychose. Ce n’est d’ailleurs qu’à ce moment là, lorsqu’il acquiesce «oui, ce sont des bonhommes», qu’il peut enfin reconnaitre avec une certaine satisfaction du corps, ou un corps, et peut être son corps… Ainsi sa production graphique est-elle «jugée réussie, pour son créateur comme pour son spectateur, à la mesure de sa capacité à pouvoir tenir ensemble les diverses composantes de l’expérience.» (Tisseron, 1995).
Les derniers éléments graphiques, eux même fait d’une recomposition des étapes-éprouvés précédents, donnent ainsi à voir une association du plein et du vide avec l’émergence d’une structure à la fois contenante et délimitante. Il apparaît donc que tout au long du travail psychomoteur engagé auprès de M. G., le dessin s’est avéré être un catalyseur essentiel du processus thérapeutique. Servant à la fois de trace, de support de symbolisation et de représentation à soi et au monde de ce qui se passe dans l’intérieur d’un Soi qui se reconstitue, ils sont très certainement une incarnation à la fois physique et symbolique. Ce mode d’expression s’imposait d’autant plus que le discours, totalement déstructuré, ne lui permettait pas une mise en représentation de ses vécus. Ainsi peut-on penser que le dessin a finalement œuvré à l’intégration des expériences du corps propre proposées en psychomotricité. On peut par ailleurs supposer que leur répétition s’explique peut-être du fait que «toute création est ainsi à la fois le témoin d’un processus d’introjection psychique laissé en souffrance et la tentative d’en constituer l’auxiliaire. Elle est, en cela un processus toujours inachevé. Cet inachèvement n’est pas son échec, mais sa fatalité. Elle «rate» ce qu’elle tente, ou plutôt, elle le réussit d’une façon toujours imparfaite et toujours à parfaire» (Tisseron, 1995). On soulignera donc que chaque étape fut un pas de plus vers une meilleure conscience de Soi et par extension vers un état d’être plus supportable pour M. G car moins éclaté.
Pour terminer, il convient de revenir à une compréhension phénoménologique de cette expression artistique Car elle aussi doit être comprise comme une expérience du Sentir. C’est là toute la question de la dimension esthétique telle que l’évoque Maldiney: «L’art est la vérité du sentir» (p.153). Nous comprenons au fil des dessins que M. G. évolue progressivement d’une production impulsive qu’il dit lui-même ne pas comprendre, à une volonté de représenter et de comprendre cette représentation. Créer est ici le maître mot, car si l’homme peut créer, c’est parce qu’il existe selon Maldiney. Cette activité de création a donc vraisemblablement largement contribué à l’émergence de la conscience de Soi, il a pu mettre en forme sa propre existence qui lui apparaissait progressivement à lui-même au fil des séances. C’est ainsi qu’en l’espace de six mois, il aura réalisé environ de 500 dessins…
CONCLUSION
Ainsi la mobilisation du corps propre, permettant l’émergence d’une conscience de Soi par les sens et le mouvement, constitue-t-elle un élément fondamental du soin apporté à M. G. Dans ce travail, la compréhension par le biais des concepts phénoménologiques nous permet de mieux comprendre non pas le pourquoi mais le comment de l’évolution du patient. On voit dans les différents temps les moments clés du soin qui sont plus liés à l’expérience du corps dans toutes ses dimensions allant de l’anatomophysiologique à la représentation la plus abstraite. A ce sujet d’ailleurs, il nous semble retrouver dans cet abord pluridimensionnel une illustration de la position de Pireyre selon laquelle le psychomotricien doit envisager une «image composite du corps» (2008, p.209) pour le sujet plutôt qu’une réelle dualité schéma corporel-image du corps. Ainsi observe-t-on qu’un travail psychomoteur orienté plus spécifiquement sur des sensations-sentiments consécutivement à l’expression d’angoisses corporelles archaïques et de mécanismes de défense corporelle (Ibid.), va lui permettre d’avancer à la fois dans des perceptions très somatiques que dans la reconstruction d’une unité psychocorporelle. Parallèlement, le travail permet de traiter la symptomatique psychomotrice, directement pour le schéma corporel et indirectement pour les troubles de l’attention. Cela montre qu’une réponse purement symptomatique n’est pas incontournable et que l’on peut parfaitement construire et comprendre une réponse thérapeutique à partir de théories diverses non nécessairement liées directement aux traitements de la symptomatique psychomotrice, une réponse thérapeutique dont l’efficacité doit toutefois être impérativement mesurée. On soulignera d’ailleurs à ce sujet tout le travail qui reste à fournir concernant l’évaluation psychomotrice de l’adulte, les outils standardisés faisant encore cruellement défaut.
Ainsi est-il probablement stérile, voire nuisible, de vouloir décréter que telle ou telle théorie est inutile ou indispensable à la pratique, tout comme il en va autant de vouloir opposer de façon manichéenne une psychomotricité de la preuve à une psychomotricité de la relation, (Rivière, 2010). L’exemple de M. G tend au contraire à montrer que la démarche du soin en psychomotricité se doit d’être pragmatique, proche des besoins du patient et des modalités d’expression de ces derniers. Mais cette démarche ne peut ni se passer de validation rigoureuse de ses effets, ni faire abstraction des enjeux relationnels et psychologiques qu’elle supporte. Indéniablement, ces deux pôles du soin psychomoteur se nourrissent de nombreux paradigmes, formant un ensemble hétéroclite mais riche, et variable d’un thérapeute à l’autre. Ainsi pourrions-nous paraphraser Pireyre pour affirmer que le substrat théorique qui structure nos séances et les éclaire après-coup doit lui aussi être composite ! Et au sein de cette constellation de théories diverses mais complémentaires qui guident la pratique psychomotrice, la phénoménologie à une place de choix à tenir.
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